Combien de fois avons-nous pris une décision, convaincus d’avoir tout analysé, pour nous rendre compte après coup que nous avions “misé sur le mauvais cheval” ?
Pourquoi nous faisons tous le pari risqué de “miser sur le mauvais cheval”
L’expression “miser sur le mauvais cheval” trouve ses racines dans l’histoire. Hérode Agrippa, par exemple, voyait dans cette métaphore une stratégie politique : profiter des opportunités pour étendre son territoire en misant sur le « bon cheval » ou le bon allié.
Au fil du temps, cette expression a évolué vers « miser sur le mauvais cheval ». Elle tire ses origines du domaines des courses hippiques. Employé dès la fin du XIXe siècle au sens figuré, il s’agit de faire le mauvais choix, de ne pas choisir le bon camp.
La parabole du mauvais cheval : Une leçon venue du monde équestre
Dans l’univers des courses hippiques, le favori d’une course n’a que 30 à 35 % de chances de l’emporter, laissant une probabilité bien plus élevée à l’imprévu. Un favori, par exemple, peut être en méforme le jour de la course. Ou encore, un outsider peut surprendre par sa régularité et son endurance. Ces imprévus nous rappellent que toute décision comporte une part de risque et d’incertitude, même lorsqu’elle semble objectivement fondée.
Ces aléas reflètent nos propres prises de décisions. Chaque jour, nous prenons des centaines de décisions, et pourtant nos biais cognitifs peuvent nous amener à faire des choix que nous regrettons ensuite.
Les biais cognitifs : Sources fréquentes d’erreurs
Nos décisions sont influencées par des biais cognitifs, souvent inconscients, qui nous poussent à commettre des erreurs.
Voici quatre biais particulièrement pertinents :
1. Le biais du planificateur : Nous sous-estimons systématiquement le temps et les efforts nécessaires pour atteindre un objectif. Dans le monde équestre, par exemple penser qu’un cheval peut être prêt en quelques semaines est une erreur. Un travail patient et progressif est essentiel.
Les chevaux de haut niveau ont environ 10 ans quand ils arrivent aux hauts niveaux. Combien de temps laissons-nous à un jeune talent pour arriver au haut niveau ?
2. Le biais de confirmation : Nous cherchons des informations qui confirment nos idées préconçues, même si elles sont erronées. Par exemple, un cavalier pourrait insister sur l’idée qu’un cheval au tempérament nerveux est idéal pour le saut d’obstacles, car il saute haut, tout en ignorant des signes évidents de stress qui limiteront ses performances en compétition.
3. Le biais de la pensée de groupe : Adopter l’opinion majoritaire ou celle d’un leader nous amène à ignorer nos propres intuitions et notre capacité de jugement personnel. Dans l’univers des courses, cela se manifeste par une tendance à suivre la foule en pariant systématiquement sur le favori, même quand des signaux montrent qu’un outsider pourrait surprendre.
4. Le biais du survivant : Ce biais nous pousse à ne regarder que les réussites visibles tout en ignorant les échecs cachés. Dans le monde équestre, cela revient à ne considérer que les chevaux champions comme des modèles de réussite, sans analyser les blessures, abandons ou faiblesses dans leur lignée.
Clés pour prendre des décisions éclairées
Face à ces biais, voici quatre actions clés pour améliorer nos prises de décisions :
1. Évaluer les risques et challenger les contraintes
Avant de prendre une décision, il est essentiel de poser un regard critique sur les risques réels et d’interroger les contraintes qui semblent s’imposer.
Action concrète :
- Posez-vous cette question : “Et si cette contrainte n’existait pas, quelle serait ma décision ?”
- Exemple : Sully Sullenberger, lors de l’atterrissage sur l’Hudson, a refusé de voir l’absence d’un aéroport comme une contrainte insurmontable. Il a choisi une option inattendue mais réaliste.
2. Anticiper les échecs avec un prémortem
Plutôt que de simplement visualiser les succès, imaginer que l’échec est déjà survenu et en identifier les raisons possibles. Cela permet de se préparer aux obstacles avant qu’ils ne surgissent.
Action concrète :
- Demandez-vous : “Si cette décision échoue, qu’est-ce qui pourrait en être la cause ?”
- Exemple : Sully Sullenberger a anticipé que l’atterrissage dans l’Hudson nécessiterait de gérer la flottabilité de l’avion et les conditions de sauvetage dans des eaux glacées.
3. Vérifier les fondamentaux : Les grandes ambitions peuvent échouer à cause de détails négligés. Dans le monde équestre, une mauvaise maîtrise des basiques – comme le “wow” (arrêt) et le “go” (impulsion) – peut rapidement rendre un cheval « dangereux » pour son cavalier. Chaque petite erreur dans les bases crée un effet papillon qui complique l’exécution des objectifs plus ambitieux.
Action concrète :
- Avant de lancer une initiative, posez-vous cette question : “Est-ce que les fondamentaux sont acquis ?”
- Exemple : Une mission de la NASA vers Mars a échoué parce que deux équipes avaient utilisé des systèmes métriques différents (mètres et pieds), un détail critique qui a compromis un projet de plusieurs millions de dollars.
4. Savoir débriefer et transformer l’échec en apprentissage :
Le débriefing est une étape cruciale pour tirer des leçons d’une décision, qu’elle ait été un succès ou un échec. Il s’agit d’adopter une posture d’apprentissage plutôt que de jugement, en mettant l’accent sur ce qui peut être amélioré et en intégrant la notion de chance pour éviter les biais de conclusion.
Action concrète : Adoptez une méthode de débriefing en trois questions :
- “Qu’est-ce que nous avons réussi ?”
- “Qu’est-ce que nous aurions pu mieux faire ?”
- “Qu’est-ce qui a réussi grâce à la chance ?”
Exemple : En se demandant ce qui a été dû à la chance, une équipe peut éviter de surévaluer ses compétences ou de négliger des failles. Cette approche itérative permet également de tester des décisions rapides pour des enjeux faibles, tout en ajustant au fil des feedbacks.
Faire confiance à son intuition : Une question d’expérience et de contexte
L’intuition peut être un guide puissant, mais elle n’est pas toujours fiable. Elle devient précieuse uniquement lorsque certaines conditions sont réunies :
- Une expérience significative : Elle permet de reconnaître des schémas et de s’appuyer sur des bases solides.
- Un feedback constant : Des retours réguliers sur ses décisions passées permettent d’ajuster son intuition au fil du temps.
- Un environnement stable : Si le contexte est changeant ou incertain, l’intuition risque d’être trompeuse.
Action concrète : Avant de vous fier à votre intuition, posez-vous trois questions :
- “Est-ce que je me trouve dans un environnement régulier et stable ?”
- “Ai-je accumulé suffisamment d’expérience dans cette situation ?”
- “Ai-je reçu un feedback valable sur mes décisions similaires passées ?”
Exemple : Dans l’univers équestre, un cavalier expérimenté pourra sentir si son cheval est prêt à franchir un obstacle. Mais face à un cheval qu’il connaît peu ou dans des conditions inédites (nouvelle piste, météo imprévisible), il devra s’appuyer davantage sur sa préparation que sur son instinct.
Décision ou choix : Le courage d’agir face à l’incertain
Il y a une différence essentielle entre le choix et la décision. Le choix est rationnel, logique, et argumentable. On choisit parce qu’on sait. C’est un processus de délibération où les options sont pesées, les risques calculés, et les résultats anticipés.
Mais la décision, elle, est un acte bien plus profond. Décider, c’est s’engager dans l’incertain, avancer même quand tout n’est pas clair. On décide parce qu’on ne sait pas. C’est un saut dans l’inconnu, où l’action précède la connaissance.
Décider, c’est être courageux. Cela nécessite d’oser, de s’aventurer hors des sentiers battus, de lâcher prise sur le besoin de tout contrôler. La décision, contrairement au choix, est un acte profondément humain : celui de faire face à l’incertitude avec détermination et foi en sa capacité à ajuster, à apprendre, et à progresser.
Alors, la prochaine fois que vous faites face à l’incertain, osez sauter. Décider, c’est avancer.